lundi 22 juillet 2019

BAD BEN (Nigel Bach, 2016)


C'est probablement le found footage le plus économique jamais tourné -- et c'est aussi l'un des plus réussis. 
300 dollars, 1 iPhone, 2 ou 3 caméras, 1 homme (Nigel Bach, réalisateur, scénariste et seul acteur), une maison (le domicile de Bach) : tels sont les principaux ingrédients de Bad Ben, auxquels il faut ajouter une bonne dose d'ingéniosité et d'obstination. A première vue, l'intrigue n'est pas très engageante : le quinquagénaire Tom Riley achète une vaste propriété pour un prix dérisoire dans une "vente du shérif" (enchères publiques où les biens vendus ont été saisis suite à un jugement). A peine prend-il possession de sa demeure que des phénomènes étranges se succèdent : déplacements de meubles, bruits inquiétants, dérèglement du système de vidéo-surveillance installé par les anciens propriétaires. Croyant d'abord à des cambrioleurs, Tom va devoir admettre, malgré son solide scepticisme, que sa maison est bel et bien hantée. On l'aura compris, c'est Paranormal Activity (et une cinquantaine d'autres films) avec un célibataire bedonnant. La différence réside dans le traitement vraiment minimaliste et plein d'humour, ainsi que dans un sens aigu de l'atmosphère, source d'un malaise sournois.
On pourrait presque dire que la réussite de Bad Ben naît d'un semi-malentendu. Ancien militaire amateur de cinéma et désœuvré par la retraite, Nigel Bach voulait réaliser un film d'épouvante fauché mais sérieux. Forcé de composer avec des moyens réduits et une absence totale d'expérience, il opta pour le found footage, dont la vogue persistante semblait lui garantir un minimum d'audience. Il s'inspira logiquement d'un des plus grands succès de ce courant filmique et rédigea son scénario dans le respect scrupuleux des codes en vigueur. Pour créer le personnage de Tom Riley, il se basa sur sa propre personnalité, celle d'un Américain moyen pragmatique, entêté et volontiers bougon. C'est là qu'est le coup de génie : un tel individu se rencontre rarement dans le found footage horrifique, généralement peuplé d'adolescents ou de trentenaires séduisants. Le comportement de Tom face au surnaturel est si décalé qu'il prend le spectateur par surprise et génère des effets humoristiques indépendants des intentions de Bach. S'il s'agit de comique involontaire, il ne tient pas à l'amateurisme de la mise en scène ou à des moments de ratage, mais au tempérament du réalisateur-acteur et au caractère insolite de sa plongée dans le paranormal. Riley est constamment en porte-à-faux avec les réactions traditionnelles des protagonistes de ce type d'histoires. Découvrant une tombe ornée de pierres et d'une boîte à musique pour bébé sur le terrain de sa propriété, il la démolit en ronchonnant et pense à la somme qu'il tirera du jouet sur eBay. Plus tard, il n'est pas plus impressionné en trouvant dans son abri de jardin un sac contenant la photo d'un nourrisson, une layette tachée de sang, et une batterie de couteaux de cuisine. Il laisse le sac sur place mais emporte les couteaux, sans doute dans l'intention de les revendre.
A mesure que la présence d'une ou de plusieurs entités surnaturelles se confirme, Riley se montre de plus en plus grincheux. Le moment le plus drôle concerne la découverte de poupées vaudou, d'une bougie (qui s'allume comme par enchantement) et d'autres objets ésotériques dans le grenier. Exaspéré plutôt qu'effrayé, Riley souffle la bougie et fourre l'ensemble des objets dans un sac en maugréant que "toute cette merde va se retrouver aux ordures".
C'est que son principal souci est la difficulté qu'il rencontrera désormais pour revendre sa maison, comme il en avait l'intention. Après qu'il ait eu confirmation de la hantise (au cours d'une scène astucieuse où la boîte à musique fait office de ouija), sa seule stratégie consiste à engueuler le ou les fantômes et à leur affirmer qu'ils ne l'effraient pas. C'est sans doute le cas, du moins jusqu'à ce qu'une entité le passe à tabac au beau milieu de la nuit, en réponse à sa mise au défi de l'attaquer physiquement. Après avoir fondu en pleurs, Riley se ressaisit et décide d'improviser un exorcisme de la demeure -- tout en se filmant avec une perche à selfie, ce qui produit un effet assez cocasse.
Par certains aspects, le film n'est pas sans évoquer Le Fantôme de Canterville, où un spectre échoue à terrifier les nouveaux propriétaires, terriblement cartésiens, du château qu'il hante depuis des générations -- à ceci près que le roman de Wilde adopte majoritairement le point de vue du fantôme, alors que Bad Ben épouse celui de l'habitant récalcitrant. Il y a quelque chose d'amusant à suivre les déambulations de ce misanthrope chauve et ventripotent, arborant des maillots et des boxers informes. A priori, le spectacle n'a rien d'excitant pour le public du found footage ; pourtant, on finit par s'attacher sincèrement à Riley et par compatir à ses déconvenues. Contrairement à de nombreux films d'horreur contemporains où les victimes de phénomènes paranormaux sont des couples en crise fragilisés par leurs dissensions, Bad Ben associe la menace surnaturelle à la solitude et à l'isolement qui pèsent -- sans qu'il s'en plaigne jamais -- sur le "héros", et qui rendent ses mésaventures touchantes. Vieux garçon ou peut-être divorcé, Riley n'a personne avec qui partager ses questionnements, et son habitude de filmer chacune de ses actions et de parler à sa caméra (une manie dont il s'étonne dans une séquence) a sans doute une valeur compensatoire. Cette situation explique le caractère bourru du personnage, qui semble également être celui de Nigel Bach, réputé pour sa causticité et son manque de diplomatie face à ceux qui critiquent son travail (il écopa d'une interdiction à vie de poster des commentaires sur sa page d'Amazon Prime, suite à ses réactions un peu trop virulentes à des avis négatifs). C'est qu'à l'instar de Tom Riley, Bach a dû se débrouiller seul pour mener à bien son projet, après les désistements de plusieurs collaborateurs. La genèse de la première scène de Bad Ben est à ce titre significative : alors qu'il rentrait chez lui au volant de sa voiture, Bach reçut l'appel d'une actrice annulant sa participation au tournage ; rageur, il décida qu'il se débrouillerait sans l'aide de personne et commença aussitôt de se filmer sur son iPhone pour ce qui devait être les premières minutes du film. Une telle détermination force la sympathie et le respect.
Assez rapidement, Bad Ben piqua la curiosité des amateurs d'horreur indépendante, et le bouche à oreille aidant, s'attira un public de fans dévoués. Un succès modeste mais suffisant pour que Bach se lance dans une franchise qui compte à ce jour pas moins de six titres (et un court métrage d'animation). On peut légitimement se demander si le miracle du coup d'essai a pu se reproduire, car il faut bien admettre que le procédé original repose sur un argument trop ténu pour être à ce point décliné. Personnellement, je n'ai vu aucune des suites, mais si leur nécessité me semble a priori discutable, la tentation est forte de retourner à la maison de Steelmanville Road, Egg Harbor Township, New Jersey, et d'y retrouver son singulier propriétaire.
Le site de la franchise donne accès aux films sur Amazon Prime.  

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