vendredi 1 juillet 2016

LA TEMPÊTE ET LE VERRE D'EAU



Je reçois hier le courriel d'un journaliste qui me demande de réagir à la "polémique" sur The Conjuring 2, le cas Enfield (chahuts dans les salles, incivilités... "inconvivialités" peut-être ? Le terme "convivial" est tellement à la mode...)
Je doute fort que mes réponses soient prises en compte et publiées dans le magazine concerné, et je m'en soucierais comme d'une guigne si je ne constatais ce soir, sur les réseaux sociaux, une sorte d'inquiétante frénésie autour du sujet parmi les fans de cinéma d'horreur/fantastique/d'épouvante. Une frénésie qui donne parfois lieu à des réactions hallucinantes, surtout chez des cinéphiles-fantasticophiles qui s’enorgueillissent généralement de leur ouverture d'esprit ("Il faut sortir le fusil à pompe et tirer sur les mauvais spectateurs").
Voici les questions posées par le journaliste :

Selon vous, pourquoi certains osent-ils certains comportements qu'ils ne se permettraient pas devant une comédie, par exemple ? Adopter un tel comportement est-il un moyen de tenter de démontrer que "l'on n'a pas peur" et que cela entraîne des réactions en chaînes avec d'autres spectateurs venus profiter du film ? Etc...

Voici ma réponse :

Je ne crois rigoureusement pas que le public de films fantastiques ou d'horreur se comporte plus mal que celui des comédies. De manière générale, les habitudes spectatorielles ont changé ; l'attention du public est moins soutenue, les sources de distraction plus grandes. J'ai assisté récemment à une projection de Elle de Paul Verhoeven dans un multiplexe : un couple n'a cessé de parler -- suffisamment fort -- durant les 45 dernières minutes du film, d'autres pianotaient sur leurs smartphones, etc. Autre exemple : une projection de La Passion du Christ, lors de sa sortie, était particulièrement houleuse : invectives, spectateurs quittant les lieux... 
On peut faire la même observation dans les salles de théâtre, même si l'annonce précédant le spectacle est un peu plus dissuasive en ce qui concerne les téléphones portables. Imputer une plus grande indiscipline à un public jeune et friand de cinéma d'horreur est une hypocrisie, à mes yeux. Le genre a toujours été mal perçu, et le demeure ; on continue d'en faire un bouc émissaire lorsque quelque chose cloche dans la société - en l'occurrence, l'incivilité, et une certaine forme d'individualisme, de nombrilisme.
Je ne crois pas davantage qu'il s'agit de montrer que "l'on n'a pas peur". Si ce besoin existe (mais c'est précisément pour avoir peur que l'on se rend à la projection d'un film d'épouvante), il s'exprime généralement par quelques rires ponctuels. Et les rires viennent surtout lorsque les effets sont ratés, lorsque la mise en scène échoue à terrifier.
Dans les cas d'incivilités, il s'agit avant tout de montrer qu'on est là, d'imposer sa présence, de se mettre en valeur - encore une question d'ego.
Certes, il y a toujours eu une tradition de forte réactivité et de participation du public dans les festivals de fantastique et d'horreur (comme jadis celui du Rex à Paris), ou dans les salles spécialisées, aujourd'hui disparues ou ayant changé d'orientation (comme le Brady). Dans des occasions ou des lieux précis où des fans se regroupent, c'est généralement le cas.
Mais on n'annulera pas un match de foot si le précédent a fait des blessés parmi les supporters. En revanche, on décidera de ne pas projeter un film anodin si du pop corn a fusé entre les sièges... Hypocrisie encore.
J'ajouterai que, si nous retournons plusieurs décennies en arrière, des spectacles considérés comme relevant de la "Haute Culture", tel que l'opéra, déchaînaient les passions, engendrant fréquemment des injures, parfois des empoignades parmi les spectateurs. Et que dire du chahut dans les théâtres au cours des siècles précédents ?...
La petite polémique autour du film de James Wan (qui renouvelle celles, avortées, qui entourèrent Paranormal Activity 4 ou Annabelle) n'est que du vent et n'intéresse, en conséquence, que les girouettes.