mardi 5 décembre 2017

CRITIQUE EXPRESS : TALON FALLS (Joshua Shreve, 2017)


Deuxième long métrage du cinéaste Joshua Shreve (après un intrigant Chasing Ghosts qui semble nettement plus introspectif et mesuré), Talon Falls est un Torture Porn "à l'ancienne" (si l'expression est applicable à un sous-genre relativement récent), décomplexé, alertement troussé, et assumant crânement ses emprunts à Hostel, ses suites et ses ersatz. L'absence de prétention passe souvent pour une qualité chez les amateurs de séries B/Z horrifiques ; encore faut-il qu'elle ne soit pas l'autre nom de la négligence ou de l'incompétence. Joshua Shreve n'entre certainement pas dans la catégorie des "gougnafiers coolos" : le jeune homme connaît son métier, et si l'originalité n'est pas le point fort de Talon Falls, son auteur sait adroitement accommoder les redites.
Comme dans The Scarehouse (Gavin Michael Booth, 2014), le cadre de l'intrigue est une "maison de l'horreur", sorte de train-fantôme où des visiteurs en mal de frissons s'offrent à vil prix des terreurs postiches. A ceci près que les sévices offerts à l'avidité des chalands sont -- à leur insu -- authentiques. Deux couples de post-adolescents en goguette s'aventurent dans ce Disneyland de cauchemar sur la suggestion du gérant (forcément douteux et plus redneck que nature) d'une de ces incontournables stations-services miteuses qui sont à la teen horror ce que le saloon est au western (et dont il faudrait bien dresser la cartographie un jour). Mal leur en prend : ils se retrouvent promptement encagés dans les coulisses putrides du parc d'attractions (ou de répulsions), avant d'être intégrés aux spectacles des tortures en qualité de suppliciés.
L'un des atouts du film est qu'il fut tourné dans un véritable screampark, Talon Falls, sis à Paducah, dans le Kentucky. Un apport indéniable sur le plan des production values, qui permet à Shreve d'éluder l'obstacle des décors cheap propres à tant de productions indépendantes aux budgets réduits (c'était l'un des problèmes de The Scarehouse). Non que le cadre soit opulent ou réaliste ; il respire au contraire le "toc", mais un "toc" délibéré et étudié, en parfaite osmose avec ce qui constitue le centre de gravité du scénario (signé par le réalisateur) : une réflexion, modeste mais bienvenue, sur la dialectique du réel et du simulacre. Sur ce point, Talon Falls cousine sympathiquement avec le chef-d’œuvre de Tobe Hooper, Massacres dans le train-fantôme (The Funhouse, 1981), étude ludique mais d'une redoutable acuité des mécanismes de la terreur via les imbrications du "faux vrai" et du "vrai faux". Quelques plans de Talon Falls témoignent d'une remémoration (inconsciente ?) du film de Hooper, et offrent une diversion appréciable aux références un peu trop voyantes à Hostel et à Saw (l'exécuteur des basses œuvres masqué d'une tête de porc). Mais alors que Hooper et son scénariste Lawrence Block concentraient leur propos sur la notion de peur -- manifestant par là leur filiation à l'épouvante classique et à la tradition gothique --, Shreve se focalise sur la notion de douleur et s'ancre dans une viscéralité typique du cinéma d'horreur postmoderne. Quand, dans la première partie du film, les quatre protagonistes s'esclaffent au spectacle de ce qu'ils croient être de fausses tortures, ils ne soupçonnent pas qu'ils deviendront les futurs suppliciés. L'un d'eux, en actionnant la manette d'un générateur mis à la disposition des visiteurs, provoque d'ailleurs la mort d'un malheureux sanglé sur une chaise électrique. Comme il se doit, il occupera bientôt le siège fatal et sera grillé à son tour par un quidam hilare. La frontière entre spectateurs et acteurs de l'horreur, tout comme celle séparant l'authenticité de l'artifice, a la minceur et la transparence d'une vitre.
On appréciera également que Talon Falls respecte l'un des traits distinctifs du Torture Porn : une fin glorieusement nihiliste, dont la prévisibilité (on la sent venir dès les scènes d'ouverture) n'entame pas l'efficacité. En dépit de défauts aisément pardonnables -- quelques soucis de continuité ; les invraisemblances usuelles (une victime poursuivie quitte sa cachette avant que son poursuivant ne s'éloigne) --, ce film sans prétention s'avère l'une des productions d'horreur indépendantes les plus attachantes de l'année.



mercredi 29 novembre 2017

MAD MOVIES 312

 

Dans le numéro de novembre 2017 de MAD MOVIES, vous pourrez découvrir mon dossier sur le Torture Porn, son passé, son présent, son avenir.

samedi 14 octobre 2017

CRITIQUE EXPRESS : XX (Roxanne Benjamin, Karyn Kusuma, Annie Clark, Jovanka Vuckovic, 2017)



Voici le premier film d'horreur à sketches exclusivement réalisé par des femmes. C'est à coup sûr sa seule originalité, qui tient davantage du gimmick publicitaire que d'un argument créatif sérieux. Il y a du reste une sorte de sexisme misandre dans cette valorisation d'un concept qui, tout bien considéré, est dépourvu de signification intrinsèque -- sauf de s'attendre à ce que le film livre un quelconque discours féministe, ce qui n'est pas spécialement le cas. Les deux premiers segments ("The Box", adaptant une nouvelle de Jack Ketchum, et "The Birthday Party") reposent sur des idées intrigantes dont les auteures ne semblent savoir que faire et qu'elles laissent en suspens. On peut apparenter ces deux métrages au courant de la post horror défini récemment par le critique Steve Rose, et comprenant des œuvres situées à la lisière de l'horreur ou du fantastique, dont elles négligent les conventions pour favoriser une approche réaliste et psychologique (le principe n'a rien de nouveau et trouve de parfaits représentants dans des films comme Répulsion ou Le Locataire). Ce n'est pas le cas des deux derniers sketches ("Don't Fall" et "Her Only Living Son"), qui relèvent de l'épouvante la plus clichéique, le second pouvant être perçu comme une suite officieuse de Rosemary's Baby (toujours Polanski !). L'intrigue de "The Box", rigoureusement mis en scène par Jovanka Vucovic (deux courts à son actif) est plutôt prometteuse (après avoir lorgné le contenu d'une boîte portée par un inconnu, un gamin refuse de se nourrir et transmet son inappétence à toute la famille) ; hélas, ce postulat ne débouche sur rien. Annie Clark, principalement active dans le domaine du rock alternatif, semble vouloir faire de son "Birthday Party" une fable sur l'aliénation conjugale (l'héroïne tente de dissimuler le corps de son époux, mort subitement quelques heures avant la fête d'anniversaire de leur fille), mais se révèle aussi encombrée par son sujet que sa protagoniste par le cadavre. Roxanne Benjamin s'était déjà frottée au format de l'anthologie avec son précédent (et premier) film, Southbone. Sa participation à XX est la plus conventionnelle du lot, narrant les déboires de quatre amis campant en "terrain maudit", avec les conséquences que l'on suppute. "Her Only Living Son" tient en haleine malgré sa prévisibilité totale, mais de la part de la réalisatrice de Jennifer's Body, Karyn Kusama, on attendait plus corrosif que cette sacralisation de la maternité. On mesure mieux ce que l'apport de la scénariste Diablo Cody eut de décisif dans la réussite du film précité. Au final, s'il est réellement nécessaire de promouvoir l'horreur au féminin comme une spécificité, il serait souhaitable de songer préalablement à définir celle-ci.
NB : Les transitions sont assurées par des séquences d'animation réalisées par Sofia Carrillo, dans le style de Jan Svankmajer. Elles constituent sans contredit l'élément le plus inquiétant du film.