jeudi 20 août 2015

Mélie MIKA

Ma compagne Mélie MIKA, à qui j'avais confié cet été la relecture du manuscrit de "Torture Porn, L'Horreur Postmoderne", s'est amusée à laisser une illustration à l'issue de certains chapitres.
Je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous ces croquis macabres, bien différents de ses travaux habituels d'illustratrice pour la jeunesse.
Ne manquez pas de visiter son site ICI.


Chapitre sur le "Grotesque horrifique"


Chapitre sur les "femmes captives"


Chapitre sur les "femmes criminelles"


Chapitre sur la "Hicksploitation"


 Chapitre sur le "Rape and Revenge"


Chapitre sur "l'avant-garde horrifique"

mercredi 19 août 2015

2 "Torture Porns" allemands : SADISTICUM (Sebastian RADTKE, 2009) ; A FUCKING CRUEL NIGHMARE (Sebastian ZEGLARSKI, 2010)


Ces deux productions se situent dans le prolongement de la nouvelle vague horrifique allemande qui naquit à la fin des années 1980 sous l'impulsion du diptyque Nekromantik de Jörg Buttgereit. Ce courant extrémiste et provocateur, animé par quelques cinéastes distribuant généralement leurs films directement en vidéo et DVD (Andreas Schnaas, Andreas Bethmann, Heiko Fipper, Timo Rose, etc.), ne pouvait qu'être stimulé par l'émergence du « torture porn », qu'il anticipa largement par sa fixation sur l'horreur organique.
Longtemps considérés comme de vulgaires bandes d'exploitation, les films de Jörg Buttgereit finirent par obtenir l'estime de certains critiques et universitaires. Le cinéaste jouit aujourd'hui d'un statut d'auteur et de rénovateur mineur du genre, mettant à jour les liens entre horreur et avant-garde afin de retrouver la force subversive de certains classiques de l'Art et Essai ou de l'underground

Ses émules ne montrèrent pas toujours une ambition similaire. Se cantonnant parfois au trash le plus basique, accumulant les effets gore sans réelle inventivité, il n'en manifestent pas moins une sympathique propension à repousser les limites de l'outrageant. Ces excès délibérés, fréquemment pratiqués avec un méthodisme pince-sans-rire, conservent à leurs films une tonalité décalée rappelant l'anticonformisme très premier degré d'une certaine avant-garde américaine des années 1950-60 (l'univers luciférien d'Andreas Schnaas recoupe parfois celui de Kenneth Anger).


Avec Sadisticum, moyen métrage d'une cinquantaine de minutes, Sebastian Radtke perpétue l'imagerie sanguinolente et jusqu'au-boutiste du cinéma trash allemand, en y intégrant les données essentielles du « torture porn ». Contrairement à la plupart de ses compatriotes, il limite les représentations sexuelles graphiques et opte pour une approche « à l'américaine » de l'horreur (éléments de thriller ; déploiement de forces policières ; alternance de gros plans et de mouvements de caméra syncopés), tout en conservant une certaine froideur de ton. Le personnage central, dont on ignore le nom, raconte en voix off deux épisodes criminels de son passé : le meurtre d'une étudiante qui l'avait séduit puis ridiculisé, et celui d'un garçon l'ayant battu et humilié (en urinant sur lui). Devenu adulte, une agression subie dans la rue réactive ses instincts de meurtre. Il décide de s'y abandonner en organisant des cours de torture pour un public d'anonymes contactés via l'internet. La police se lance sur ses traces après avoir retrouvé les cadavres mutilés de ses victimes. Le tueur abat plusieurs policiers lors d'une descente dans son repaire, mais épargne l'enquêteur chargé de l'affaire, qui fut l'un des spectateurs de ses « colloques » et qui finira par le seconder.


D'une facture esthétique mainstream peu courante dans le cinéma trash allemand, Sadisticum parvient à instaurer un climat de désespérance assez convaincant. S'il ne compte que deux scènes de tortures (le supplice d'une troisième victime, dont on découvre le cadavre, nous est épargné), celles-ci sont longues, éprouvantes, et servies par des effets spéciaux très crédibles. L'influence de Hostel est flagrante, quand bien même Sebastian Radtke – semblable à de nombreux collègues œuvrant dans le sous-genre – se défend d'avoir voulu faire un « torture porn », et considère plutôt son film comme un thriller horrifique (1). Sa volonté d'apporter à l'intrigue une forte composante psychologique est insuffisante pour faire contrepoids à l'argument central (et commercial) de l'œuvre : sa description clinique de tortures sauvages (lacération à la ponceuse électrique ; ongles et doigts arrachés ; visage incendié).
La courte durée du film nuit au développement psychologique du protagoniste central, heureusement interprété de façon nuancée par Christian Veverka, qui parvient à exprimer la jubilation contenue du sadique lorsqu'il officie devant son public. Le personnage du policier est encore plus sommaire, et sa dualité n'est guère perceptible avant la révélation finale de ses penchants sadiques. Le propos supposé de Sebastian Radkte – démontrer que la violence est intrinsèque au genre humain –, quelque peu galvaudé, s'en trouve considérablement affadi. Le film laisse pourtant une impression encourageante pour la carrière future de son auteur, dont le principal défaut est peut-être une trop grande fidélité aux modèles américains.


Sebastian Radtke

Egalement d'origine allemande, A Fucking Cruel Nightmare s'apparente à une démo de quatre-vingt-deux minutes où des bricoleurs d'effets spéciaux gore passent en revue l'éventail de leurs créations. Ce bout-à-bout de vignettes sanglantes rejette toute ébauche de scénario. Un personnage rêve qu'il arpente sa maison tendue de toiles plastifiées. Derrière chacune d'elles, il découvre une scène de torture menée par des hommes masqués et vêtus de combinaisons blanches. Dans la deuxième partie du film, ce sont les victimes qui, curieusement indemnes, supplicient leurs bourreaux.
L'intention de Sebastian Zeglarski semble être de passer en revue les supplices les plus spectaculaires et les plus choquants jamais vus à l'écran. Une femme se fait enfoncer des clous le long de la colonne vertébrale ; une autre, coiffée d'un sac rempli de débris de bouteilles, a le crâne fracassé avec une barre de fer ; une troisième a le vagin lardé de coups de couteaux avant d'être sauvagement pénétrée par son tourmenteur. En contrepartie, un bourreau est sodomisé avec son propre sexe fraîchement tranché, un clou est enfoncé dans le phallus d'un autre, et un troisième est masturbé au moyen d'un bocal rempli de lames de rasoirs.




Le principal intérêt du métrage est de tenter un inventaire esthétique et thématique du « torture porn » sans s'accorder d'alibi narratif. Le contexte onirique permet à Zeglarski de styliser (pour des raisons économiques autant – sinon plus – qu'artistiques) le décor habituel du sous-genre (cellules sombres, couloirs labyrinthiques) ainsi que ses ressorts favoris. L'inversion des rôles bourreaux/victimes et le thème de la vengeance font partie de ces derniers, de même que l'évolution de la femme du statut de victime soumise à celui de furie castratrice. L'un des éléments essentiels du discours tenu sur le « torture porn » est également pris en compte : l'importance du témoin des atrocités, protagoniste ou spectateur des films. 
Comme le signale Steve Jones, l'acte de torture implique trois acteurs : la victime, le bourreau, et le témoin, dont les emplois sont susceptibles de permutation (2). Ici, le témoin est le rêveur, qui semble toujours sur le point de s'associer aux bourreaux (l'un d'eux lui remet une combinaison blanche semblable aux leurs), situation qui souligne la fragilité des délimitations entre les trois types de personnages, et qui fait écho à l'accusation de complicité du public formulée par les adversaires du sous-genre.
A Fucking Cruel Nightmare
donne l'impression d'avoir été conçu par Zeglarski à partir de la liste des ingrédients propres à la Torture Horror, mais sans la recette permettant de les amalgamer et d'en pratiquer le dosage. Ce souci lui semble d'ailleurs étranger, comme le suggère l'avertissement précédant le générique : « Ce film contient des tas de scènes cruelles, répugnantes, brutales, malades et violentes. De plus, on y trouve des scènes de nécrophilie et des saloperies démentes que vous n'avez pas besoin de comprendre (…) il ne doit être vu par aucun de vous. Moregore [société de production du film] vous hait (…) Nous espérons que vous haïrez (ce film) ». L'agressivité infantile de cette profession de foi en dit long sur le refus des auteurs d'adhérer aux principes d'une horreur institutionnelle et traditionaliste.



Notons enfin que malgré la représentation de tortures sexuelles, le film reste très soft sur le plan de la nudité. Les victimes demeurent presque toujours vêtues, sans doute pour éviter la confection de moulages excédant les compétences de l'équipe technique. Les sexes masculins sont figurés par des godemichés, et lors d'une séquence de fornication entre une femme et son tortionnaire, un faux vagin est utilisé pour simuler un plan X. Des coups mollement portés font jaillir le sang par baquets et les déambulations du rêveur sont rythmées par trois thèmes musicaux qui reviennent en boucle. Au final, le produit ressemble en tout point à ces compilations pornographiques proposant un florilège de fellations ou de sodomies à l'amateur boulimique.

(1) Interview de Sebastian Radkte sur le forum allemand Nightmare-Horrormovies.de, <http://www.nightmare-horrormovies.de/thread.php?threadid=2368>, consulté le 06.03.14.
(2) Steve Jones, Torture Porn : Popular Horror after Saw, op.cit., p.61.