dimanche 26 juillet 2015

TRUTH OR DIE (Action ou vérité), Robert Heath (2012)


Action ou vérité s'inscrit dans une mouvance récente du « torture porn », qui intégre au sous-genre des éléments diégétiques et esthétiques issus du slasher des années 1980 et de la tradition gothique (1). Abandonnant les décors post-industriels de Saw et de Hostel, et limitant les effets gore en faveur d'une violence plus cérébrale, ce courant s'attache à l'une des influences souterraines (mais déterminantes) de Saw : le roman policier à énigme du type « Dix petits Nègres ». Individus réunis en un lieu isolé, élimination progressive des protagonistes, climat de suspicion et animosité croissante entre les survivants, twists multiples : ces composantes invariables donnent souvent matière à des fables morales aussi sommaires que ludiques. On y retrouve certaines constantes propres à la littérature gothique : un fond de puritanisme inquiet, l'identification de l'aristocratie au Mal, un mélange de conservatisme et de progressisme souvent sensible dans la peinture des personnages féminins.


Le film de Robert Heath évoque à ce titre l'univers du cinéaste Pete Walker, figure emblématique du cinéma d'horreur britannique des années 1970, dont les œuvres de facture anticonformiste dissimulaient un propos souvent réactionnaire. Action ou vérité explore l'un des thèmes de prédilection de Walker : la famille, ses principes fondamentaux et ses dysfonctionnements. Celle du film, vieille de seize générations et reposant sur une intransigeante foi catholique, est un produit typique de l'ordre patriarcal le plus répressif. Le cadet de la lignée, Felix (Tom Kane), est humilié par des camarades étudiants lors d'une partie d' « action ou vérité » (2) où il révèle son attirance pour la séduisante Gemma (Florence Hall). Quelques mois plus tard, ses tourmenteurs sont invités à célébrer son anniversaire dans le manoir familial. Trouvant l'endroit désert, ils apprennent par un domestique que la fête aura lieu dans une cabane au milieu d'un bois. Ils y sont accueillis par Justin (David Oakes), le frère de Felix, retenu à l'étranger par une œuvre caritative. Le jeune homme les convie à une partie d' « action ou vérité » où il leur révèle que Felix s'est suicidé après avoir reçu une carte postale anonyme l'accusant d'homosexualité. Justin soumet ses hôtes à la torture afin que l'expéditeur du billet se dénonce. Contraint de lui servir d'assistant, Luke (Alexander Vlahos) est épargné par les épreuves, alors qu'il est l'auteur de la carte. Gemma parvient à s'enfuir et se réfugie dans le manoir, où elle découvre Felix toujours vivant, paralysé suite à sa tentative de suicide. Elle est tuée par Justin, qui mène son frère à la cabane afin qu'il assiste à la fin des « réjouissances ». Mais la seconde fille du groupe, Eleanor (Jennie Jacques), s'est libérée de ses liens et inflige aux deux frères un terrible châtiment.


Comme chez Pete Walker, la charge anti-famille s'accommode sans encombre de notations conservatrices. Robert Heach et le scénariste Matthew McGuchan attribuent clairement les désordres psychologiques de Justin et Felix au poids écrasant des valeurs patriarcales et bourgeoises. La participation de Justin au conflit Afghan, qui lui permit de tester sa résistance à la douleur (ce dont témoignent les cicatrices qu'il arbore fièrement) et le rendit témoin d'actes de torture, est une autre cause probable de son déséquilibre mental, et découle également de diktats patriarcaux. Comme de juste, son éducation rigoriste détermine chez lui une homophobie virulente, tandis qu'elle impose à Felix le refoulement de sa bisexualité. Pour Justin, « cette faiblesse (l'homosexualité) ne fai[t] pas partie d[es] gènes » de son frère, et c'est l'accusation portée contre lui qui poussa Felix au suicide – un geste non moins répréhensible aux yeux de Justin, car contraire aux principes catholiques (« Le suicide est une honte », affirme-t-il).
Parallèlement à leur critique libérale d'une structure familiale génératrice de névroses, les auteurs se livrent à l'étude d'une démission masculine présentée comme alarmante - un constat qui mitige sensiblement leur contestation de l'homophobie. Durant la soirée festive qui ouvre le film, les étudiants multiplient les railleries sur leur virilité respective. Felix se fait traiter de « pédale » par le fiancé de Gemma (injure arbitraire, puisqu'il vient d'avouer son attirance pour la jeune fille), et Paul (Liam Boyle) faillit à son honneur de mâle en s'assoupissant auprès de la très requérante Eleanor. Nous apprenons que cette dernière s'est vengée de sa frustration en poussant Felix à pratiquer une fellation sur Paul à moitié endormi. Cet acte, qu'elle filme dans l'intention de faire chanter Felix, est dépeint comme le summum de la dégradation masculine, à tel point qu'il fournit à l'intrigue son coup de théâtre final, censé terrasser le spectateur. Dès lors, Eleanor est implicitement désignée comme responsable des malheurs du groupe (avec Luke, auteur de la carte postale litigieuse). Présentée durant tout le film comme un personnage égoïste et futile à la sexualité agressive, elle s'apparente à une seconde antagoniste. Quand bien même elle triomphe de Justin et sauve la vie de Paul, elle est indirectement impliquée dans la mort de ses amis, et sa sortie finale, où elle salue les deux frères d'un ironique « Merci pour cette soirée, les mecs ! », la place moins en Final Girl traditionnelle qu'en furie vengeresse aussi dangereuse que Justin.

 

Quelle que soit la façon dont on l'appréhende, Eleanor est porteuse des contradictions idéologiques des auteurs, moins progressistes que ne le suggère leur discours anti-famille. S'ils souhaitaient en faire une figure positive, son instrumentalisation de l'homosexualité (dans laquelle elle voit un légitime objet de chantage) trahit son homophobie latente et en fait une héroïne fort peu libérale. S'ils l'envisagent au contraire comme une antagoniste, ce ne peut être qu'en raison de sa liberté sexuelle, du défi qu'elle présente à l'autorité masculine et au système capitaliste (elle comptait utiliser l'argent du chantage pour renflouer l'entreprise de son père). Le dénouement la montre toisant du haut de ses talons-aiguille les deux frères immobilisés, tout en vidant une bouteille de champagne à même le goulot. Parfaite incarnation d'une féminité castratrice et dangereusement séductrice, elle transmet l'image fortement misogyne d'un « cauchemar féministe » incarné.  


Dans une interview visible sur internet, le comédien David Oakes déclare sous forme de boutade qu'il souhaiterait produire une suite du film où son personnage affronterait son homophobie (3). Un bon moyen d'y parvenir serait pour Justin d'assumer les tendances homosexuelles suggérées par le scénario. Celles-ci se manifestent dans ses rapports avec Luke, qu'il choisit arbitrairement comme assistant. Lors d'une conversation sur le perron de la cabane, Justin qualifie Luke de « mec bien » sans raison discernable – le jeune homme vient de se décrire comme un être superficiel doublé d'un dealer minable. Il se montre envers lui étrangement prévenant, s'excusant presque de son recours à la violence. Plus tard, Luke répond à cette clémence de façon tout aussi singulière, en renonçant à sa seule chance de mettre Justin hors d'état de nuire. Quand l'un de ses amis dealers, Jonesy (Jason Maza) survient inopinément et aveugle Justin avec un gaz lacrymogène, Luke ne ramasse pas le revolver perdu par ce dernier. Justin lui confie alors l'arme et lui laisse le choix de tirer l'ultime balle sur Jonesy ou sur lui. Contre toute attente, Luke choisit d'abattre son ami. Ainsi le psychopathe n'hésite-t-il pas à remettre sa vie entre les mains de son « favori », qui, en retour, préfère sacrifier ses camarades et mettre sa propre existence en péril que de le décevoir. Justin proposera ensuite à Luke de s'enfuir avec lui, le temps que son père ait aplani la situation. Qu'elle relève du syndrome de Stockholm (pour Luke) ou de la connivence amoureuse – peut-être des deux –, cette collaboration surprend chez des individus professant un égal mépris de l'homosexualité.


Il n'en est pas moins vrai, comme le remarque David Oakes, que Justin échoue à corriger son homophobie, ce qui semble logique dans un film où la honte d'être gay est considérée comme légitime par l'ensemble des protagonistes – hormis en l'espèce du saphisme. Ainsi, lorsqu'Eleanor se voit imposer de donner à Gemma « un baiser long, chaud et humide » au cours de la partie d' « action ou vérité », nul ne s'en offusque ; mais les garçons précisent d'emblée qu'ils ne se soumettront pas à un tel gage – « Pas de trucs de pédés ! », insiste Justin. On sait que la bisexualité féminine est acceptable pour l'hétérosexuel mâle parce qu'elle constitue un fantasme érotique et ne porte pas atteinte à sa virilité. Le lesbianisme exclusif est moins bien considéré, qui implique la superfluité de l'élément masculin. Le baiser d'Eleanor à Gemma est une action dépourvue de vérité dans un film où toute trace d'homosexualité est perçue comme une tache délébile, ou maintenue dans l'implicite.


Comme je l'ai signalé, Action ou vérité fait du gore un usage plus mesuré que les « torture porns » de la décennie précédente. La torture n'est pas employée pour satisfaire les pulsions sadiques du bourreau, comme dans Hostel et ses succédanés, mais vise à l'obtention d'un aveu et s'offre ainsi une légitimation semblable à celle que revendiquent les tortionnaires de guerre (l'allusion au conflit Afghan confirme cette similitude). La seule torture physique pratiquée par Justin lui est d'ailleurs inspirée par son expérience militaire : elle consiste à introduire dans l'œsophage de la victime un tuyau raccordé à deux bonbonnes – l'une emplie d'eau, l'autre d'acide – et à laisser au malheureux le choix du robinet à ouvrir (étant entendu que les deux liquides présentent le même aspect). Justin confie cette décision aux témoins du supplice, ajoutant à celui-ci une dimension psychologique. Synthétisée dans le titre du film, la notion de choix imposé était l'une des constantes de la franchise Saw et se retrouve dans un autre de ses dérivés, l'excellent Would You Rather.


1  Autres exemples : Behind Your Eyes (Clint Lien, 2011), Would You Rather (David Guy Levy, 2012).
2
  Jeu où un participant désigné par le hasard doit choisir entre répondre à une question ou accomplir un gage.
3
  Interview de David Oakes, site scifi-universe, <http://www.scifi-universe.com/actualites/12489-rencontre-avec-robert-heath-et-david-oakes.htm>.

samedi 25 juillet 2015

La Torture sanctifiée : MARTYRS (Pascal Laugier, 2008)



Martyrs est l'un des rares films d'horreur français à s'être taillé une réputation « culte » aux Etats-Unis. En France, son interdiction aux moins de 18 ans par le Comité de Classification des Films généra un tollé mémorable, qui incita la Ministre de la Culture, Christine Albanel, à solliciter un nouveau vote. Le film s'en tira avec une interdiction aux moins de 16 ans, assortie d'un avertissement au public : « Ce film inflige des images extrêmement éprouvantes exposant le supplice d’une jeune femme. Sa vision comme son interprétation requièrent des spectateurs préparés et distancés ».
En toute objectivité, Martyrs n'est guère plus sanglant que d'autres « torture porns » sortis à la même époque (1). Laugier privilégie une violence abrupte et sèche, qui, bien qu'incessante, s'éloigne autant que possible du tour de force gore. Si quelques plans dénotent un sadisme un brin complaisant, ils ne sont pas majoritaires, et jamais associés aux actes de torture proprement dits. Pour reprendre les termes de l'avertissement, la « vision » du film requiert certes des « spectateurs préparés », mais pas davantage que ne l'étaient ceux de la franchise Saw ou de Frontière(s), autre production française (plus exactement, franco-suisse) sortie l'année précédente. Son « interprétation », en revanche, nécessite une bonne dose de recul (les « spectateurs distancés » invoqués dans l'avertissement) et de vigilance.


Le scénario de Laugier relate la plongée de deux jeunes femmes dans une spirale d'horreur, où l'une d'elles se trouve engagée dès l'enfance. En 1971, la petite Lucie est séquestrée durant plusieurs mois par des tortionnaires inconnus. Après leur avoir échappé, elle est recueillie dans une institution pour enfants inadaptés où elle se lie d'amitié avec une autre fillette, Anna. Quinze ans plus tard, Lucie croit reconnaître ses bourreaux sur une photographie parue dans un journal. Sans hésiter, elle se rend à leur domicile pour les massacrer ainsi que leur famille. Rejointe par Anna sur le lieu du carnage, elle cède définitivement aux démons qui la hantent, et se suicide sous les yeux de son amie.  Anna craint que Lucie n'ait tué des innocents, jusqu'à ce qu'elle découvre un passage secret conduisant à une base carcérale aménagée sous la maison. Elle tente de venir en aide à une prisonnière horriblement suppliciée, mais tombe entre les mains des tortionnaires. Il s'agit d'une organisation secrète s'ingéniant à créer des martyrs dans l'espoir de percer les secrets de l'au-delà. Ses membres se basent sur le paradigme chrétien voulant que la souffrance extrême plonge ceux qui l'endurent dans un état de transe extatique et leur ouvre des aperçus sur l'autre monde. Ils soumettent Anna, comme d'autres avant elle, à des séances de tabassage méthodiques. L'ultime épreuve, consistant à être dépecée vive, produit le résultat escompté. Anna accède à la Connaissance Suprême et confie ses visions à la responsable de l'organisation – qui, plutôt que de les répercuter à ses affidés, opte pour le suicide.


Le film se divise en deux parties bien distinctes : la première relève du « film de vengeance », et flirte avec l'épouvante par le biais des hallucinations de Lucie (elle se croit poursuivie par une prisonnière qu'elle avait abandonné quinze ans plus tôt en fuyant ses ravisseurs) ; la seconde relate le martyre d'Anna et les agissements du groupe d'illuminés. 
Cette division participe d'une démarche très concertée de Laugier, qui joue en permanence sur les notions de dualité et de répétition, et s'applique à mettre en miroir les éléments de son intrigue. Au calvaire de Lucie répond celui d'Anna ; à la prisonnière abandonnée au début du film répond la prisonnière découverte sous la maison ; à la première famille de bourreaux répond le couple qui lui succède ; au suicide de Lucie répond celui de Mademoiselle, la directrice de l'organisation (l'insistance de Mademoiselle à appeler Anna « Mademoiselle » suggère également une trouble affinité entre les deux femmes), et ainsi de suite. 
Il en ressort un sentiment d'implacable réitération de l'horreur (le rituel invariable des passages à tabac), de nécessitarisme voulant que tout acte traumatique engendre sa propre reproduction, sous une forme ou une autre. D'où le caractère fortement oppressant du film, dû davantage à sa logique fataliste qu'à ses effusions de sang. 
Laugier livre une œuvre perturbante grâce à une habile négociation de nos pressentiments et de nos attentes, qu'il confirme ou infirme tour à tour. 
Lorsqu'il nous montre la poursuite d'une fillette, juste après le générique évoquant la séquestration de Lucie, nous croyons qu'il s'agit d'une nouvelle victime. Or, la course se révèle être un jeu entre la gamine et son frère. Plus tard, la même fillette est à nouveau traquée, mais par Lucie cette fois, et le lien que nous avions initialement perçu entre cette enfant et les faits évoqués au générique se trouve confirmé : elle est la fille des bourreaux. Dans une optique inverse, lorsque Anna est faite prisonnière, nous devinons que ses tourments prendront une tournure répétitive, et c'est l'inflexible réapparition d'images attendues (l'échelle de fer s'abattant comme un couperet sur le sol de la geôle ; la cuillère de purée enfournée dans la bouche ; les coups de poing du bourreau) qui provoque l'effroi.


Admirablement structuré, Martyrs apparaît dans ses deux premiers tiers comme une dénonciation sans compromis de la violence. A ce stade de la narration, on ne relève qu'une seule lacune : les motivations de ceux qui commettent cette violence restent floues – excepté dans le cas de Lucie, qui ne l'emploie que parce qu'elle lui fut en quelque sorte inoculée par les mauvais traitements subis dans son enfance.
Cette imprécision quant aux mobiles des actes de cruauté rend le plaidoyer quelque peu nébuleux. Les anciens bourreaux de Lucie sont présentés comme des parents aisés, focalisés sur la réussite de leur progéniture (le fils est invectivé pour ses échecs scolaires, la fille est encensée pour ses exploits sportifs) et sur la préservation d'une apparence de cohésion. Certains analystes ont dès lors discerné dans le film une critique de la société capitaliste, de la bourgeoisie et de ses institutions, opinion renforcée par la révélation de la nature et du mode de fonctionnement de l'organisation (2). Sorte de club sélect regroupant de riches vieillards menés par une rombière, ce groupuscule est imprégné de christianisme et ses larbins agissent avec la froideur mécanique de fonctionnaires nazis.
Lorsque nous apprenons leurs visées et découvrons leurs méthodes, l'incertitude gênante que j'ai signalée se trouve pleinement dissipée, mais un nouveau doute y est substitué. La référence appuyée à la beauté du martyre, à sa valeur sacrée et à ses vertus transcendantes, éveille l'écho d'un fondamentalisme chrétien dont on connaît les dommageables répercussions sur le cinéma d'horreur. Car si Laugier présente les membres de l'organisation comme des antagonistes, cela n'implique nullement qu'il rejette leurs idées. La fin du film le démontre clairement.

  
Après avoir été dépecée vive, Anna accède à la béatitude, donnant ainsi raison aux théories eschatologiques de Mademoiselle et de ses sbires. Si le cinéaste les avait dénoncées comme délirantes – en montrant que le calvaire d'Anna n'aboutissait à rien –, il eût été possible de voir en Martyrs un authentique brûlot dirigé contre le fanatisme religieux. Mais en filmant son héroïne écorchée dans une pose christique, et en nous gratifiant d'une plongée à l'intérieur de son œil, ouvrant sur un gouffre de nuées blanches, Laugier valide les hypothèses barbares des bourreaux et donne sens à leurs actes. Nous voyons ensuite Anna souffler à l'oreille de Mademoiselle la teneur de ses visions, comme en absolution des tourments que la vieillarde lui fit endurer. 
Ce sont probablement les scènes les plus authentiquement choquantes du film, qui consentent un poids de vérité aux plus fumeux alibis de la cruauté humaine, et qui, glorifiant la figure du martyr, sanctifient les atrocités qui lui sont infligées. 
Laugier enfonce le clou en nous rappelant, avant le générique de fin, l'étymologie du mot « martyr » – du grec « marturos » : témoin. Une façon de subordonner le statut de victime à celui de prophète, et d'éluder ainsi tout ce que le concept du martyre comporte d'intolérable.
 
  
Il devient dès lors impossible d'envisager l'œuvre autrement que comme une apologie de la torture en tant que vecteur de la transcendance. Le thème obsessionnel de la dualité révèle sa finalité en se fondant en son corollaire : le dualisme religieux. Les vertus féministes attribuées au film par certains de ses défenseurs sont également rendues caduques. La remarque de Mademoiselle sur la prédisposition des femmes à faire les meilleures martyres pouvait passer pour insane et démontrer les intentions critiques de Laugier. Jusqu'à ce qu'il les adoube par la conclusion, leur accordant ainsi une sinistre pertinence.
Au final, si Martyrs est indéniablement l'un des exemples les plus aboutis de ce que l'américain James Quandt (3) baptisa le New French Extremism, il est aussi l'une des œuvres les plus détestablement réactionnaires du « torture porn » et du cinéma horrifique contemporain.

(1) Il faut néanmoins rappeler que Saw III écopa également, en France, d'une interdiction aux moins de 18 ans.
(2)
  Gwendolyne Audrey Foster (2012) « Subverting Capitalism and Blind Faith : Pascal Laugier's Martyrs », site Film International, <http://filmint.nu/?p=5417>
 
(3) James Quandt (2004 février) « Flesh & Blood : Sex and Violence in Recent French Cinema », Artforum, <http://findarticles.com/p/articles/mi_m0268/is_6_42/ai_113389507/>, suppri