jeudi 1 octobre 2015

VILE (Taylor Sheridan, 2011)


Première réalisation d'un acteur de séries télévisées, Vile est une variation décomplexée sur les thèmes et l'imagerie de Saw 2.
Deux couples de campeurs prennent à bord de leur véhicule une fringante quadragénaire en panne de voiture. Promptement gazés par la cougar, ils se réveillent dans une maison décrépite où sont enfermées quatre autres personnes. Un message vidéo délivré par une femme inquiétante les informe que des petites fioles ont été implantées à la base de leurs crânes afin de récolter des composants chimiques fabriqués par le cerveau. Ces sécrétions, destinées à la confection d'une nouvelle drogue, ne sont produites que sous l'effet d'une douleur intense. Les prisonniers se voient donc contraints de s'entre-torturer jusqu'à ce que les fioles soient remplies. Pour ce faire, ils disposent d'un délai de vingt-deux heures, après lequel ils seront libérés – ou tués en cas d'échec. 


Bien que peu plausible, l'élément générateur des tortures s'avère original et particulièrement pervers. Comme dans Saw 2, le soin de se mutiler est laissé aux victimes (le générique, montrant le charcutage d'un homme par une chirurgienne, laisse néanmoins penser que les trafiquants n'hésitent pas à mettre occasionnellement la main à la pâte) ; mais la motivation des antagonistes, contrairement à celle de Jigsaw, est strictement lucrative. Pour les victimes, la liberté dépend de la douleur qu'ils consentiront à infliger et à subir.
Le scénario d'Erick Jay Beck1 et Rob Kowsaluk renchérit sur le nihilisme habituel au sous-genre, en démontrant la facilité avec laquelle tout individu consent à s'improviser bourreau, dès lors que son existence est en jeu. Les considérations sur les moyens de se tirer d'affaire autrement qu'en se martyrisant sont rapidement écourtées, et la question d'attendre l'écoulement du délai imparti pour affronter les instigateurs du piège est à peine évoquée. La plus ardente à entamer les festivités est Kelly (Stefanie Barboza), une virago à l'agressivité polymorphe, dont chaque proposition déborde d'égoïsme et de cynisme, sans pour autant susciter de réactions franchement hostiles chez ses compagnons. Elle ne sera rejetée par le groupe qu'après avoir tenté de poignarder Tony (Akeem Smith), qui avait coupé court à ses protestations en lui décochant un direct. Dans une scène d'une belle outrance, elle tranche involontairement la gorge de la fiancée de Tony en voulant échapper à la torture. Si elle est le personnage le plus négatif parmi les prisonniers (elle propose de sacrifier l'élément le plus faible, qu'elle avait préalablement torturé avec une belle énergie), il faut bien avouer que la patience de ses compagnons à son égard ne plaide guère en leur faveur.


Plus que par une intrigue rebattue, Vile surprend par son « incorrection politique ». La première victime, spontanément attaquée par les autres, est un Noir ; l'hystérique Kelly est une asiatique surnommée « Pinehead » (ananas) par l'un des protagonistes ; Greg (Rob Kirkland) se dit prêt à torturer les femmes, sans égard pour les « merdes féministes » qu'elles pourraient objecter. Du reste, les personnages les plus menaçants sont féminins, qu'il s'agisse de la cougar responsable des kidnappings, de la chirurgienne du générique, de l'ingérable Kelly, ou de la femme du message vidéo – brève mais mémorable interprétation de Maria Olsen, dont les traits inquiétants et le sourire forcé imposent un malaise plus profond que tous les effets gore du film (arrachage d'ongles et brûlures au fer à repasser sont certes impressionnants, mais moins spectaculaires que les débordements de la franchise Saw).


Vile se distingue enfin par le tour imprévu, aux confins du grotesque, qu'il donne au puritanisme traditionnel du « torture porn » américain. Une allusion de l'un des prisonniers nous apprend que les substances tant convoitées – l'adrénaline, l'ocytocine et la dopamine – ne sont pas seulement secrétées dans les moments de douleur mais aussi lors de l'activité sexuelle. Plutôt que de se torturer, il suffirait aux sept jeunes gens de faire l'amour pour remplir les fioles. Kelly écarte catégoriquement cette suggestion avec l'assentiment tacite du groupe, qui n'évoquera plus jamais la question. Le refus du sexe et son déplacement dans la violence pourraient difficilement être illustrés plus éloquemment, ni de façon plus délirante. Baiser est considéré sans détour comme plus avilissant que de mutiler ses semblables ; l'application et l'épreuve de la douleur sont des actes plus nobles que le don et la réception du plaisir. En d'autres termes, la performance sadomasochiste est posée comme le meilleur substitut de l'acte sexuel, et leur affinité est fallacieusement ignorée – Sam (Greg Cipes) insiste pour que ses organes génitaux soient épargnés par les supplices, ce que ses compagnons acceptent comme une évidence. Il faut dire que la notion de virilité est suffisamment malmenée tout au long de l'intrigue, pour que soit préservés ses attributs physiques. 
Vile offre un exemple supplémentaire de bannissement de la torture sexuelle dans le cinéma d'horreur américain mainstream (bien qu'étant une production indépendante, le film n'entre pas dans la catégorie underground), où elle ne peut s'exprimer que sous l'espèce du viol et de sa punition, au sein du sous-genre bien délimité qu'est le rape and revenge

1 Egalement interprète de l'un des protagonistes, Nick.


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