mercredi 7 octobre 2015

PENANCE (Jake Kennedy, 2009)


Penance est l'un des rares « torture porns » américains (relativement) mainstream faisant état de sévices sexuels. Bien que la libido ne soit jamais absente des motivations des bourreaux dans le sous-genre, elle est communément convertie en actes de violence physique, d'où la torture sexuelle est exclue. Celle-ci constituerait pour les tortionnaires un aveu de pulsions qu'ils refusent d'intégrer dans la sphère du conscient. Acquiescer à la divulgation du refoulé, lui donner une expression littérale, constitue une démarche que le cinéma d'horreur américain, toujours travaillé par un fond de puritanisme, s'autorise rarement. 


On ne s'étonnera pas que l'équation torture/sexe soit traitée par une production indépendante à petit budget destinée au marché du DVD. Des firmes comme Lionsgate ou Twisted Pictures, distributrices et productrices des franchises Saw et Hostel, sont trop soucieuses de ne pas outrepasser un certain seuil de respectabilité (et de viabilité commerciale) pour se risquer sur ce terrain sablonneux – n'oublions pas que Lionsgate est également distributrice de l'une des franchises les plus aseptisées du cinéma d'épouvante contemporain, la saga vampirique Twilight (2008-2012).
Parmi les quelques films américains abordant la torture à caractère sexuel, la trilogie August Underground (2001-2007), au budget de 2000 dollars, fut financée et distribuée par son réalisateur Fred Vogel dans des conditions quasi-amateures ; le
remarquable nf713 de China Hamilton (2009) est une micro-production plus proche de l'avant-garde que du cinéma d'horreur commercial ; The Girl Next Door (Gregory M. Wilson, 2007), distribué par les firmes Starz Media et Anchor Bay, pouvait s'appuyer sur la caution littéraire du best-seller de Jack Ketchum.
Comme ce dernier film, Penance lie la torture sexuelle à un rejet maladif du sexe : le tortionnaire se veut le défenseur d'une morale ultra-puritaine. Ce postulat permet aux auteurs de contourner la description d'une pratique purement jouissive des sévices sexuels. En se parant de vertus inquisitoriales (comme Jigsaw, et au contraire des sadiques des Hostel), le bourreau du film est censé n'éprouver aucune satisfaction érotique, puisque c'est précisément contre elle qu'il agit. Il est néanmoins évident que son rigorisme dissimule une sexualité perturbée, et que ses agissements relèvent de la compensation d'un refoulement.


Le scénario s'inspire librement de l'affaire du « Boucher de Bega », dont le triste héros, le gynécologue australien Graeme Reeves, pratiqua des mutilations sexuelles sur plusieurs de ses patientes. Rebaptisé Geeves (Graham McTavish), notre homme règne ici sur une prison secrète où il séquestre des stripteaseuses et des prostituées pour les punir de leurs péchés. Sa dernière détenue, Amelia (Marieh Delfino), s'est improvisée « effeuilleuse à domicile » pour payer les soins médicaux de son fils. Geeves la met à l'épreuve afin de tester son aptitude au rachat, et finit par procéder à son excision et à l'ablation de ses lèvres vaginales. Elle parvient à s'enfuir après avoir blessé Geeves et tué deux de ses complices.

Penance
évoque les W.I.P. des années 1970, particulièrement ceux tournés en Europe par le prolifique Jesus Franco. Le cadre de la prison secrète où des maniaques de l'ordre moral incarcèrent des femmes ayant « fauté », rappelle le très sombre House of Whipcord de Pete Walker (1974), mais Jake Kennedy ne montre ni la retenue ni le sens de l'angoisse propres à son aîné (et compatriote, Kennedy étant d'origine anglaise). L'insistance sur la torture sexuelle lie également le film à la nazisploitation, l'un des rares sous-genres horrifiques y recourant abondamment.
Contre toute vraisemblance, Kennedy donne à sa narration la forme du found footage, ce qui nous vaut des scènes hautement ridicules où Amelia – dont on se demande comment elle a pu conserver sa caméra – filme sa tentative d'évasion dans les couloirs de la prison, et s'attarde devant les portes des autres cellules pour converser avec les détenues. Le reste du métrage est composé de vidéos captées par son compagnon (qui la suit dans ses activités de stripteaseuse), puis par la gardienne de la prison, Eve (Alice Amter). 


Geeves tient pour sa part un journal filmé où il enregistre de longues péroraisons sur la purification des âmes, joue à la roulette russe, et finalement se castre dans ce qui constitue la séquence la plus grotesque du film. Après avoir pris un bain d'eau glacée (pour calmer ses ardeurs autant que pour soigner la maladie de peau dont il est atteint), il s'assoit devant la caméra, se tranche le sexe (hors-cadre), se recoud, puis entame un stupide monologue justificateur. Cette castration fait suite à l'opération d'Amelia, pratiquée sans anesthésie afin que la douleur lui permette de « libérer son esprit ». Ainsi la croisade anti-sexe de Geeves ne se limite-t-elle pas à la punition de femmes considérées comme luxurieuses, mais vise également à l'éradication du plaisir masculin à travers une dernière extase masochiste.




Là où Eli Roth faisait châtrer l'un de ses « méchants » par sa victime féminine (Hostel : Chapitre II), Kennedy laisse au sien l'initiative de cet acte, tant pour accroître notre conviction qu'il agit sous l'impulsion d'une sincère croyance en la nocivité du sexe, que pour couper court (c'est le cas de le dire) aux accusations de sexisme que Penance ne peut manquer de s'attirer. Hélas, la lourdeur de la démonstration et le jeu presque parodique de Graham McTavish, ruinent toute tentative de légitimation du contenu « exploitatif » du film. Il est impossible de prendre Penance pour une dénonciation de l'intégrisme religieux, non plus que pour son contraire, et ce malgré la parenté que Kennedy semble vouloir suggérer avec le film français Martyrs (Pascal Laugier, 2008), qui fit forte impression aux Etats-Unis. La fascination suspecte de Pascal Laugier pour un mysticisme saint-sulpicien misogyne et réactionnaire, qu'il fait mine de critiquer tout en se complaisant dans ses préceptes, est sans commune mesure avec les procédés roublards de Kennedy, qui mêle grossièrement pamphlet anti-religieux, puritanisme éventé et sadomasochisme de cartoon.


Guère plus concluante est la mise en correspondance des reality shows et du cinéma horrifique, amorcée dans les premières séquences. L'héroïne tourne en effet une vidéo lui permettant de postuler à une émission télévisée où elle compte gagner l'argent nécessaire aux soins de son fils. L'idée est délaissée dès qu'elle entame sa formation de stripteaseuse, comme si les auteurs avaient soudain mesuré qu'une telle réflexion était hors de leur portée.
Au final, la tentative du cinéaste d'intégrer le sexe à un sous-genre qualifié de pornographique (mais où les enjeux libidinaux demeurent souvent masqués) produit l'effet inverse : la torture sexuelle n'est présente dans Penance que comme un moyen d'éradication de la sexualité. Le film opère ainsi une démonstration littérale de l'un des principes fondamentaux du « torture porn » américain : atténuer l'expression de l'érotisme par l'emploi d'une violence compensatrice.


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