Il est bien loin le temps
où les papas interdisaient à leurs filles d’accepter les bonbons offerts par des
étrangers. Aujourd’hui, ce sont les pères qu’il convient de mettre en garde
contre les gâteries proposées par des collégiennes. Ce constat, qui semble s’appliquer
à merveille à Knock Knock, fait heureusement l’objet de développements
plus complexes et stimulants. Eli Roth s’éloigne des excès graphiques des
deux premiers Hostel et de The Green Inferno, pour nous offrir un
thriller « en chambre » sexy et (dans sa seconde partie) survolté,
aux accents satiriques appuyés, et n’entretenant avec le « torture porn »
qu’un rapport de surface. Une récréation brillante et plus ambitieuse qu'il n'y paraît, à défaut d’être totalement
originale.
Knock Knock est le remake – d’une fidélité narrative proche du
« copié-collé » – d’un film d’exploitation de 1977, Death Game
de Peter S. Traynor. On notera à ce propos que les deux actrices principales (et
coscénaristes) du film original, Sondra Locke et Colleen Camp, sont coproductrices
de cette nouvelle mouture. Si la structure scénaristique des deux oeuvres est
la même, les intentions diffèrent, changement d’époque oblige.
Le film de Traynor était
un brûlot féministe habilement déguisé en shocker érotique, où les deux
assaillantes se vengeaient sur une proie de hasard d’un pouvoir patriarcal
responsable de leurs névroses. Le leitmotive musical du film, la chanson
« Good Old Dad », offrait un commentaire ironique sur le rôle
faussement bienveillant car strictement répressif tenu par leurs géniteurs
auprès des jeunes filles (et tout aussi bien des maris envers leurs épouses).
En pleine vague du féminisme radical, Death Game tentait de démontrer
(non sans ambiguïtés et lapsus) que l’hystérie féminine, même au plus fort de
ses outrances, ne peut être imputée qu’à une culture sexiste et
phallocentrique.
Eli Roth et ses
coscénaristes Nicolás López et Guillermo Amoedo se montrent assez lucides pour
percevoir tout ce qu’un tel propos, jadis pertinent, a d’obsolète en ce début
de 21ème siècle. Cinéaste consciemment postmoderne, Roth ne peut
ignorer que les enjeux des rapports de sexe ont été notablement modifiés par
les données du postféminisme. Là où l’on pouvait craindre que la violence
féminine se voit une énième fois justifiée par les abus préalables du
patriarcat, Roth lui trouve une cause autrement plus tonique (et
subversive) : le rejet des mascarades sociales, qu’elles soient libérales
ou conservatrices.
Ses deux adolescentes tumultueuses, Genesis (Lorenza Izzo, épouse de Roth) et
Bel (Ana De Armas), sont les produits typiques de la mouvance
postféministe telle que popularisée par les médias et honnie des féministes
radicales : des adeptes du Girl Power ; des émules des Spice Girls
ou, plus près de nous, de Miley Cyrus ; des jeunes femmes n’hésitant pas à faire étalage de leur sexualité, ne craignant plus « l’objectification »
brandie tel un épouvantail par leurs aînées, mais voyant au contraire dans
l’affirmation des « signes extérieurs de féminité » (tenues sexy,
maquillage, glamour) et leur réappropriation (parfois outrancière) un outil
d’émancipation et de négociation des pouvoirs.
Bel et Genesis, libérées
dans leur tête et leur corps, n’ont que faire d’être féministes, mais visent
plutôt à démasquer ce qui reste d’hypocrisie dans un monde qui, soi-disant
soucieux de liberté, ne cesse de rafistoler la matière de ses entraves :
la bien-pensance, l’utopie humaniste et les idéologies sociales
Après trois films (Cabin Fever ; les deux Hostel) renvoyant dos à dos victimes et
bourreaux, Roth tend désormais à afficher sa sympathie pour les
seconds. The Green Inferno ne dissimule pas sa connivence avec les
cannibales bouffeurs d’humanitaristes du dimanche, « sauveurs de la
planète » ne voyant dans la défense de causes perdues qu’une occasion de
grimper dans les réseaux sociaux. Knock Knock est tout entier du côté de
ses antagonistes, pourfendeuses insouciantes et désordonnées de tout ce que la
société se fabrique de sens.
Là où l’on pouvait redouter une résurgence du discours puritain et misogyne véhiculé par maints thrillers américains issus du même moule (l’époux volage puni de son infidélité par l’objet de ses écarts), Roth adopte la démarche inverse. Le film pourrait être sous-titré « La Bite de l’architecte », en référence à cet autre grand cinéaste postmoderne qu’est Peter Greenaway, tant l’action est centrée sur la virilité d’Ewan Webber, ou plus exactement sur son aptitude à en manifester les signes (les sculptures phalliques élaborées par son épouse suggèrent malicieusement que cette dernière lui a bel et bien confisqué ses attributs). Le piteux « héros » de Knock Knock (le choix de Keanu Reeves, ex-icône d’une virilité survitaminée dans Speed et Matrix, pour incarner un bobo amorphe, est particulièrement parlant) n’est nullement châtié de ses frasques, mais bien plutôt de son incapacité à les assumer, du déni qu’il opère de son appétit sexuel, et de son repli frileux dans la sphère lénifiante de l’institution conjugale. Il est significatif que la scène de Death Game où Seymour Cassel était exposé à un simulacre de procès pour « phallocratie » par ses tourmenteuses, soit ici remplacée par un « torture quizz » parodiant les jeux télévisés, où Ewan Webber doit avant tout répondre de sa tartuferie. Bel et Genesis se démarquent ainsi des inquisitrices féministes du film original pour s’imposer comme des ennemies de la malbaise.
Là où l’on pouvait redouter une résurgence du discours puritain et misogyne véhiculé par maints thrillers américains issus du même moule (l’époux volage puni de son infidélité par l’objet de ses écarts), Roth adopte la démarche inverse. Le film pourrait être sous-titré « La Bite de l’architecte », en référence à cet autre grand cinéaste postmoderne qu’est Peter Greenaway, tant l’action est centrée sur la virilité d’Ewan Webber, ou plus exactement sur son aptitude à en manifester les signes (les sculptures phalliques élaborées par son épouse suggèrent malicieusement que cette dernière lui a bel et bien confisqué ses attributs). Le piteux « héros » de Knock Knock (le choix de Keanu Reeves, ex-icône d’une virilité survitaminée dans Speed et Matrix, pour incarner un bobo amorphe, est particulièrement parlant) n’est nullement châtié de ses frasques, mais bien plutôt de son incapacité à les assumer, du déni qu’il opère de son appétit sexuel, et de son repli frileux dans la sphère lénifiante de l’institution conjugale. Il est significatif que la scène de Death Game où Seymour Cassel était exposé à un simulacre de procès pour « phallocratie » par ses tourmenteuses, soit ici remplacée par un « torture quizz » parodiant les jeux télévisés, où Ewan Webber doit avant tout répondre de sa tartuferie. Bel et Genesis se démarquent ainsi des inquisitrices féministes du film original pour s’imposer comme des ennemies de la malbaise.
Ayant dépassé les clivages
de la lutte des sexes (au contraire de la détestable héroïne de Hard Candy,
type même du prêche féministe le plus pesant) elles ne militent que pour l’antimilitantisme,
le refus global des valeurs – qu’elles soient éthiques, sociales ou artistiques
(voir leur saccage des sculptures de l’épouse d’Ewan). Témoins amusés
de la déroute d’un monde prisonnier de ses leurres et de ses
impostures, elles participent à sa déconfiture en contrefaisant ses signes.
Leurs méfaits ne sont qu’une prestation tapageuse et ludique, une performance
où elles adoptent tour à tour, avec une outrance hilare, les diverses figures –
les divers « emplois », pour rester dans le lexique théâtral – et les
divers codes de la féminité. Lolitas, ingénues, nymphomanes, filles abusées,
épouses castratrices, elles jouent le jeu des masques avec une sorte de
jubilation Camp, affirmant leur polymorphisme et leur mépris des identités
stables.
Dans le paysage du cinéma horrifique américain contemporain, Knock Knock
s’impose dès lors comme une exception : il est l’un des rares films abordant le
postféminisme sous un angle fraternel. Sa
remarquable conclusion, qui renvoie la victime à son inanité de marionnette
sociale, et dévoile dans les artifices des bourrelles la seule expression d’authenticité,
est un réjouissant témoignage des vertus critiques du cinéma de Roth.
Pour conclure, on n’a pas
manqué d’apparenter Knock Knock au Funny Games de Michael Haneke.
Les liens sont évidents entre ces deux films d’ « invasion
domestique » où les antagonistes professent un même désaveu postmoderne de
la sclérose idéologique de leur temps. Mais là où les agresseurs dépeints par le cinéaste
autrichien torturent et tuent avec une détermination froide et presque résignée,
les deux furies de Roth ne manifestent aucune volonté homicide (la mort de
Louis, ami de l’épouse d’Ewan, est accidentelle, contrairement à celle de son
homologue dans Death Game) et jouent pour la beauté du jeu, sans prétendre
à une quelconque victoire. Roth démontre que postmodernisme n’est pas forcément
synonyme de nihilisme ; on ne peut que lui en savoir gré.